
Il y avait beaucoup de poètes, signe que le parler qui émane naturellement d’un pays, qui sort pour ainsi dire de sa lumière, est toujours plus propice à l’expression des sentiments intimes que la langue imposée par l’administration, qui paraît toujours rester plus ou moins à la surface.
La plupart des sujets étaient liés à la vie au village autrefois : on assimile la Corse aux aïeux, au foyer ancestral, et c’est un trait qui existe aussi en Savoie - et, je pense, dans toutes les régions de France. Plus propres à la Corse étaient les évocations historiques, à demi épiques, concernant Sampiero Corso, et, surtout, Pascal Paoli. Le premier était un fier et farouche soldat qui luttait contre la république de Gênes, et le second est le grand républicain qui pensa pouvoir créer une Corse indépendante et libre et qui fut ensuite floué par la France, qui remplaça Gênes dans le gouvernement. Une certaine nostalgie habite ces poèmes à leur gloire, un regret de ce qui aurait pu être et n’a pas été.
Cela constitue, cette fois, une différence avec la Savoie, car, en langue locale, les poètes n’y ont pas tellement évoqué l’histoire, qui se faisait et se chantait plutôt en français, et essentiellement pour des seigneurs du Moyen Âge - le Comte Vert Amédée VI, le Comte Rouge Amédée VII, les premiers ducs… Il y a dans leurs vers le ton du romantisme nostalgique des cours féodales, avec leurs chevaliers, leurs dames et leurs mystères, comme dans le romantisme allemand. Car même les Français du dix-neuvième siècle ont peu chanté saint Louis. On pourrait mieux comparer cela avec les développements que Michelet a consacrés à Jeanne d’Arc, mais celle-ci était issu du peuple : elle était déjà à demi républicaine, même si elle a sauvé le roi de France de la ruine. Les Savoyards songeaient plus directement à leurs princes.
À cet égard, la Corse a quelque chose qui rappelle les Genevois, plutôt les chantres de grands républicains postérieurs au Moyen Âge.
Ce qui rapproche encore les Savoyards des Allemands, c’est le regard jeté sur le peuple antique : quand Klopstock chantait Arminius, en Savoie, on créait des drames et des poèmes lyriques sur les Allobroges et les Ceutrons.
Je n’ai pas vu beaucoup de textes en langue corse évoquant les croyances populaires, alors qu’en savoyard Amélie Gex en a beaucoup fait ; cependant, il y en a.
Pour ce qui est de la langue, j’ai évidemment trouvé que le corse était proche du toscan, même si les voyelles sont souvent plus fermées et les consonnes des articles définis presque toujours absentes. Comme je connais bien l’italien, le corse m’a paru presque plus facile que le savoyard !
Cette lecture fut pour moi des plus enrichissantes, et m’a permis de mieux pénétrer l’âme des lieux - ou simplement de saisir les panneaux et affiches écrits en langue locale.